L'ART D'ÊTRE FUNAMBULE

Une des origines de CIRCUS MUNDI est sans doute « L’art d’être funambule », une installation réalisée lors d’une résidence d’artiste dans le lycée horticole de Fauville-en-Caux, de janvier à juin 1994.

Dans une ancienne salle de classe de ce lycée horticole, une chambrée composée d’un lit, d’une armoire, d’une table et d’une chaise est disposée sous des conditions d’équilibre particulières.

Les fenêtres de la salle ont été obstruées sauf celle, petite, au-dessus de la porte. En entrant dans la salle, le dos d’une armoire en équilibre sur quatre bouteilles de Bourgogne (dont les étiquettes ont été retirées) empêche l’appréhension immédiate de la salle entière. Après l’avoir contournée, on peut distinguer d’abord deux cables traversant la salle d’une hauteur d’un homme, sur lesquels une table en chêne est en équilibre, une chaise en bois juchée sur quatre bâtons hauts de cinq pieds et demi — ma taille —, puis deux nouveaux câbles supportant un lit « pardon ». Au sol quatre grands tapis délimitent la présence des trois objets. Sous la table est fixée une ampoule, sous le lit un néon sert de barre à une douzaine de cintres portant des chemises, des vestes, deux manteaux et trois costumes. Posé sur l’armoire, un aquarium contient deux poissons rouges.

Les quatre éléments sont placés sur un même axe. L’armoire, une armoire à glace, reflète en son miroir tous les autres éléments ainsi que le visiteur lorsque celui-ci se place dans l’axe central.

Ici, il y a une sorte de folie, c’est l’intérieur d’un funambule fou qui pousserait l’art ou le vice jusqu’à mettre son lit en équilibre sur des câbles, sa table aussi, jusqu’à s’obliger à être en équilibre sur des bâtons pour être assis sur sa chaise. Il vivrait comme un homme-singe ou un homme-oiseau de fil en fil, d’équilibre en équilibre.

Il n’y a pas de trucage. C’est une pièce que je ne représenterai pas à cause des risques qu’elle présente. Là je pouvais jouer le jeu sachant que je surveillais les visites.

Toute cette pièce est un jeu d’équilibre, l’art d’être funambule, si on enlève le « d’ » et cela devient : l’Art, c’est être funambule. Est-ce qu’avec un lit, une armoire, une table on fait une chambrée ou une œuvre d’art. Surtout dans un contexte rural comme celui de Fauville-en-Caux. C’est un pari, un pari autant sur l’art que sur l’équilibre réel des objets. Savoir si on peut déstabiliser ainsi le regard en élevant les éléments et en donnant une une autre vision des objets les plus banals qui sont ceux qu’on peut voir lorsqu’on ouvre les yeux le matin. Il m’arrive de me réveiller et de rester une demi-heure dans le lit à regarder autour de moi et à voir émerger ma conscience et les objets autour de moi. Ces sentiments-là me sont très chers et j’aime les exploiter.