26 ans - j'aime les couleurs primaires
2007 : Baccalauréat Littéraire
2010 : Obtention d'une Licence de Cinéma - Audiovisuel à l'université Paris 3 Sorbonne Nouvelle
2014 : Obtention du DNAP à l'ESADhaR
2016 : Obtention du DNSEP option Design Graphique avec mention pour l'implication personnelle à l'ESADhaR
Texte de Marie Griffay
Caroline Laguerre - Gros-texte
Entrer dans l’univers de Caroline Laguerre, c’est découvrir une multitude
d’images aux couleurs vives, peuplées d’êtres humanoïdes informes qui effectuent
des gestes magiques, portent des masques et dissertent sur les conditions de
l’existence. Quand les images se parent d’une légende, un décalage s’opère
invariablement entre l’esthétique criarde des trois couleurs primaires et la simplicité
du texte. Cette émulsion crée une forme de comique-ludique absurde et irrésistible.
Un monde instable se dessine et s’oppose sans appel à tout dogmatisme et à toute
autorité.
Le corps des personnages de Caroline Laguerre a beaucoup de personnalité,
sans toutefois chercher à ressembler au corps égoïste d’une personne nommée. Ce
corps universel n’est ni idéal, ni abstrait mais il n’est pas non plus entièrement
individualisé. C’est un corps aux contours flous, en contact avec le monde. Il est
sujet à l’exagération : son allure massive s’affine aux extrémités pour se terminer par
des petites mains, des petit pieds et une petite tête. Dans son livre « Codex
Grotesk » (2016), qui précise le vocabulaire formel de ses œuvres, Caroline
Laguerre figure une tête bleue dont les contours sont formés de dizaine de gouttes
prêtes à tomber. « Rien n’est tout prêt, c’est l’inachèvement même. Telle est
précisément la conception grotesque du corps. » 1 .
Cette conception d’un corps grotesque qui absorbe le monde et est absorbé par ce
dernier ; d’un corps qui est le maillon d’une chaîne et qui meurt pour apporter la vie -
dans une ronde festive et bienfaisante - est employée par Caroline Laguerre dans
deux GIF animés. Dans « Aspirateur » (2016), un personnage utilise un chat vivant
comme aspirateur. Un liquide rouge sort par l’extrémité de la queue du chat avant
d’entrer à nouveau, indéfiniment. Dans « Cuisinier » (2016), un bonhomme se sert
un verre de jus qui provient d’un baril - surveillé par un chien - relié à l’abdomen
sanguinolent d’un dauphin. Ces saynètes grotesques, en illustrant la transmutation
de certaines formes en d’autres, renouent avec les décors insolites et libres
découverts au XV ème siècle sur les murs de demeures de la Rome Antique. Ces
peintures ornementales du 1 er siècle, baptisées « grottesca » (« la grotte »), mêlent
1 Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la
Renaissance, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2008, p. 35 [Première parution en français en 1970].
formes humaines, animales et végétales dans une hybridation festive et inventive.
Caroline Laguerre poursuit ses investigations sur le grotesque avec la réalisation en
2016 de peintures murales dont l’une figure un bonhomme rouge, debout, en train de
coiffer sa tête chauve. Au milieu de son visage pointe un « nez-bouche » semblable
à un long bec qui paraît sortir de l’image en deux dimensions. Il tient dans sa main
gauche un masque pourvu de deux yeux écarquillés, figés dans un étonnement
contagieux.
La simplicité visuelle des dessins de Caroline Laguerre et l’usage exclusif
dans ses dernières productions des couleurs rouge, bleu et jaune, rappellent les
images d’Épinal 2 . Mais le style naïf et désuet de cet art populaire né au XV ème siècle,
s’efface ici au profit d’une imagerie vive et percutante. Les motifs religieux -
prépondérants dans les images d’Épinal - font place dans la série « Autel » (2016) à
des personnages mystiques, représentés en gloire. S’agit-il d’icônes religieuses
modernes issues d’un syncrétisme personnel ou bien de starlettes à la célébrité
éphémère ?
Les saynètes de la série « Rap » (2016) sont quant à elles sous-titrées de légendes.
Ces courtes phrases énigmatiques - extraites de chanson de Rap - , bien que sans
rapport évident avec l’image, teintent la scène d’une couleur particulière. Le
caractère introspectif et égotique de ces phrases tranche définitivement avec les
légendes purement narratives des images d’Épinal.
Images simples, couleurs vives, légendes percutantes : Caroline Laguerre
réemploie les codes qui ont fait de l’image d’Épinal un puissant véhicule idéologique
et qui font aujourd’hui les beaux jours de la publicité. Mais les images grotesques et
populaires de Caroline Laguerre, qui oscillent parfois entre le tragique et le comique,
n’invitent pas seulement à une contemplation oisive et ludique. Leur effervescence
inventive, en rejetant tout ce qui est banal, coutumier, quotidien et conventionnel,
permet, pour un temps, de réveiller la part de grotesque qui anime le monde.
Marie Griffay
2 Gravure à usage populaire, de style assez naïf, dont Épinal a été l'un des principaux centres de
fabrication ; présentation qui donne d'un fait une version simpliste et exagérément optimiste.
http://www.larousse.fr, page consultée le 08.08.16.